Posez vos questions à François Comba : les réponses

McGo : Comment entrer dans ce cursus ?
Hp666 : Comment sont vos classes dans ce module? Les élèves sont-ils tous de grands fans de la saga, ou y a-t-il des curieux qui se sont laissé convaincre ?

F.C. : Je m’adresse à des étudiants de Sciences Po ou des établissements partenaires ; j’ai donc treize Français, deux Britanniques, deux Allemandes, une Russe, un Américain, un Brésilien, etc. Avoir lu les sept tomes était le prérequis pour s’inscrire et ils connaissent le texte par cœur, qu’ils ont souvent lu en anglais. Et ils savent que je sanctionne toute référence aux films, puisque c’est hors sujet.

Hp666 : Quel est votre avis personnel sur la saga Harry Potter? Qu’avez-vous adoré, et qu’avez-vous détesté ?

F.C. : Évitons de parler de saga, ça n’en est pas une : http://profondeurdechamps.com/2013/11/14/
À la première lecture, j’ai surtout aimé le I, le III, la fin du IV et le VI, mais, quand on a beaucoup lu, on a pris l’habitude de passer outre le moins bon. Les fins des pièces de Molière sont ratées, et ça n’ôte rien à son génie. Dans Le Vicomte de Bragelonne, on s’ennuie un chapitre sur deux, et c’est quand même un chef d’œuvre. Dobby et Sirius ne m’ont pas plu, mais, chez Proust, Albertine non plus. Le fond du problème, c’est que « aimer » ou « pas aimer », ça n’est pas si important. « Aime-t-on » la fusée Ariane ou le viaduc de Millau ? Une œuvre, scientifique ou littéraire, est moins à aimer qu’à étudier et à comprendre.

McGo : Quel est votre livre préféré ?

F.C. : Le VI, sans hésitation, surtout pour les plongées dans le passé de Voldemort. C’est de la psychanalyse, de la vraie, appuyée sur la connaissance évidente que J. K. Rowling a des travaux de Freud, de Mélanie Klein, de Winnicott et même de Lacan, et il se trouve que je suis assez compétent pour le voir. En outre, j’attendais, j’espérais, l’élimination de Dumbledore, parce que ça correspond à sa double fonction de professeur et de psychanalyste. Je suis moi-même enseignant et j’estime que finir dans une poubelle est le sens de mon métier : l’élève doit se libérer du maître. Il y a là, en filigrane, une grande leçon. J. K. Rowling semble dire : Estimez certaines personnes et soyez loyal, mais défiez-vous de l’admiration, qui confine toujours plus ou moins à l’aveuglement. Les Mangemorts admirent Voldemort et on sait où ça les mène ; Harry évalue Dumbledore, et c’est plus fin, plus juste, plus sage.

Hp666 : Selon vous, quel est le personnage le plus complexe dans la saga Harry Potter?

F.C. : J’appelle Snape/Rogue « le héros inattendu ». Jusqu’au IV inclus, ce n’est qu’un comparse, et je crois que J. K. Rowling ne prévoyait pas l’importance qu’elle lui donnerait, la dimension qu’il prendrait. Il ne ressemble guère aux gens que nous croisons et peut-être n’est-il pas très vraisemblable ; mais c’est une erreur de croire que la vérité dans la fiction et la vérité dans la réalité sont comparables. Le roi Lear, Phèdre, la marquise de Merteuil, Mr Darcy, Heathcliff, l’abbé Faria, Mr Micawber, Long John Silver, Félicité, Lafcadio, le baron de Charlus, Nessim dans Le Quatuor d’Alexandrie, ne sont pas non plus vraisemblables, mais, dans les pages où ils apparaissent, leur charme ou leur puissance sont tels qu’ils s’imposent à jamais, qu’on ne les oublie pas. Comme le disait plus ou moins Antoine Compagnon, ce qu’on appelle « effet de réel », c’est un effet de littérature qui nous fait croire que la littérature éclaire la réalité, alors qu’elle se la soumet, qu’elle invente et impose l’idée que nous nous en faisons.

Hp666 : Quelle est votre interprétation du dénouement de la saga?

F.C. : Parlez-vous de l’épilogue ?… Puisqu’Albus Severus prend le train en 2017, je me demande si Mrs Rowling ne s’est pas réservé la possibilité de lancer un nouveau cycle à partir de cette date. Dans cette hypothèse, le Choixpeau enverrait le petit Albus Severus à Serpentard ! Il y aurait un Potter à Serpentard. On a bien senti, vers le VI, qu’elle avait envie de réhabiliter cette maison et les personnalités compliquées qu’on y trouve : Rogue bien sûr, mais aussi Phineas Nigellus Black, Regulus, Slughorn… La fascination de Rogue pour la magie noire relève de la curiosité intellectuelle, et elle est donc légitime ; elle rappelle la fascination de tant d’auteurs – Dostoïevski, Faulkner, Kawabata, Joanne Rowling elle-même – pour les forces du Mal.

McGo : Aimez-vous les adaptations cinématographiques ?

F.C. : Les adaptations des plus grands romans tournent invariablement au désastre, Mort à Venise doit être la seule exception, mais Luchino Visconti a eu cette chance que Thomas Mann n’est pas un génie ; du coup, Visconti a pu déployer le sien. On sent partout dans les films un touchant désir de faire au mieux, et il s’ensuit que certains moments sont vraiment réussis : la partie d’échec ; le moment où Hermione efface sa tête des photos de famille… Maggie Smith et Alan Rickman sont des acteurs exceptionnels et, quand ils sont en scène, c’est superbe. Mais pour l’essentiel, les films sont d’une inspiration très médiocre, que le soin apporté à l’exécution ne compense pas. Dans le livre, la défaite de Voldemort s’apparente à une démonstration mathématique, et c’est pourquoi le duel se limite presque au dialogue. Dans le film, ça laisse une place au suspens, ça n’en finit pas et c’est grotesque.

Stephenie : Qu’est-ce que vous pensez de la place des Cracmols dans la société magique, etc. ?

F.C. : L’amour déçu de J. K. Rowling pour sa propre famille ou le fait que Harry (puisque tout est vu de son point de vue) n’ait pas connu la sienne fausse, en la flattant, l’image de la famille. Une famille, c’est toujours une famille Black, un « groupe de pression » qui empêche l’individu de différer, d’inventer son propre chemin, et qui cache ses cracmols. Les Weasley, dont on peut dire qu’ils sont « de gauche », n’admettent pas que Percy passe « à droite » ; et quelle famille n’a pas honte de l’oncle alcoolique, du cousin attardé, du neveu qui vote Front national, du frère qui s’est converti à l’islam, de la sœur qui peint (tant que ses œuvres ne se vendent pas), du fils qui fait des études de philosophie et tient des discours auxquels personne ne comprend rien, de la mère qui se prostitue, du père qui est parti vivre avec un homme ?

Stephenie : Même question sur la place des parents moldus d’enfants sorciers : les parents de Hermione, etc.

F.C. : Hermione se retrouve dans la situation de Billy Elliot : avoir un don ou une vocation qui l’éloigne irrésistiblement de ses parents. Avancer, c’est rompre ; mais est-ce bien grave ? Harry aime les Weasley parce qu’ils sont sorciers et qu’il n’a pas, chez eux, à étouffer sa personnalité ; invité chez les parents d’Hermione, il aurait été contraint de jouer les moldus. On comprend qu’Hermione n’ait pas voulu lui infliger ça.

Stephenie : Comment interprétez-vous le fait que Lucius Malefoy semble a priori ravi du retour de Voldemort, alors qu’il a déjà été un de ses proches lors de sa première ascension ?

F.C. : Difficile de répondre sur le cas personnel de Lucius. Rappelons toutefois que les élèves sont fascinés par les professeurs qui leur font peur ; que les sportifs ne se laissent arrêter ni par les défaites ni par les blessures ; que les gens à peu près normaux trouvent toujours des excuses aux fous et aux pervers ; et que les électeurs ont beau savoir que tel leader ment comme il respire, ils votent quand même pour lui…

Hp666 : Enfin, si vous pouviez rencontrer J.K. Rowling et lui poser une seule question, quelle serait-elle ?

F.C. : La question est délicate. Je suis un monsieur bien élevé et, quand on est bien élevé, il y a des questions qu’on ne pose pas, surtout à une dame. Peut-être oserais-je lui demander quand elle a su qu’elle n’était pas un auteur pour la jeunesse, mais un grand écrivain. Ça a pu se faire par palier. On a l’impression qu’elle n’a découvert son envergure que peu à peu, en écrivant le III et le IV, mais on lit aussi au début du I : « On écrira des livres sur lui ». C’était très optimiste car les dits livres, on les attend toujours – les « biographies » de J. K. Rowling et les essais d’Isabelle Smadja ou d’Isabelle Cani ne sont pas des livres dignes de la haute critique que son roman mérite ; mais ça voulait dire qu’elle espérait bien qu’un jour le futur Maurice Blanchot et le futur Roland Barthes commenteraient son livre.

Merci à François Comba pour avoir répondu aux questions des lecteurs et pour avoir accordé de son temps à Poudlard.org

Portolien

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