« Vous avez donc choisi d’étudier la Divination, le plus difficile des arts magiques. Je dois vous avertir dès le début que si vous n’avez pas le don de double vue, il y a peu de chance que je puisse vous enseigner quoi que ce soit. » (PA6)
Le sujet a souvent été évoqué, mais jamais traité depuis la sortie de l’ultime tome de la saga Harry Potter.
_ Tout le monde se rappelle les prédictions plus ou moins hasardeuses mais rarement réalisées de Sibylle Trelawney, professeur de Divination à Poudlard – à sa décharge, citons ses deux prophéties décisives qui ont contribué à combattre le Seigneur des Ténèbres, bien qu’elle-même n’en garde aucun souvenir.
Ce dont la plupart des gens se souviennent moins, en revanche, ce sont les différentes prédictions et autres pronostics de chacun dans les six premiers tomes de la série ; après une attentive (re-re-)lecture du 7e volume, quelques-unes m’ont sauté aux yeux, indices semés çà et là par JKR à l’intention des lecteurs perspicaces ; ne seront citées ici que les intuitions s’étant révélées correctes, mais dont on n’a pas reparlé une fois vérifiées.
[Par exemple, dans PSM, Harry devine immédiatement que le Prince était bien un garçon, mais Hermione et lui en reparlent après. Ce genre-là de prédictions n’a pas de réel intérêt à être traité, à l’inverse des intuitions restées dans l’ombre, oubliées ou ignorées.]
Les prédictions de Ron
« Ronald vient du norvégien archaïque Rögnvaldr, signifiant “possède le pouvoir des dieux” »
Et effectivement, de nombreuses déclarations prononcées par le meilleur ami de notre héros se révèlent, bien malgré lui, d’une justesse et d’une précision assez inhabituelle.
Coïncidences ou Troisième Œil ? Après tout, « Les livres ne permettent pas d’aller bien loin dans ce domaine (PA6) », et Ron n’a jamais été un grand littéraire…
Peut-on alors prêter un réel don de voyance à Ron ? J’admettrais que l’affaire du Tabou sur le nom de Voldemort (dans le tome 7) peut remettre à leur place les détracteurs du rouquin : eh non, Ron n’est pas un peureux, c’est un voyant !
Nuançons tout de même : il a des prémonitions de façon régulière. Le nom de Voldemort qu’il se refuse à prononcer, et ce d’un bout à l’autre de la saga, lui est désagréable, même lorsque Hermione et Harry essayent de le convaincre que ses craintes sont non fondées. Il persiste dans son idée que le nom ne doit pas être prononcé alors même que tout son entourage le fait – Harry, Hermione et une bonne partie de l’Ordre du Phénix notamment. La suite ne lui donnera raison que bien plus tard, au milieu du dernier tome.
La première phrase de ce personnage évocatrice pour un récent lecteur de RM se retrouve dès le deuxième tome ; Ron affirme alors que « Si le Choixpeau magique avait voulu [l’y] envoyer, [il aurait] repris le train et [il serait] rentré à la maison. (CS9) » Cette phrase est reprise (presque…) mot pour mot de l’inquiétude de James Potter, une vingtaine d’années auparavant, confiée à Remus Lupin dans le Poudlard Express : « Qui aurait envie d’être à Serpentard ? Moi je crois que je quitterais l’école, pas toi ? (RM33) » À noter aussi que Ron a peur d’ « un combat avec un troll (ES7) » à Poudlard ; pas de bol, hé hé.
Il semblerait donc que ce soit dans CS que cette facette de Ronald Bilius Weasley trouve ses prémices. C’est un des premiers à deviner l’imposteur sous Gilderoy Lockhart (« Ça, c’est ce qu’il prétend. (CS6) »), puis, à propos de T.E. Jedusor, il pronostique ironiquement l’origine de sa médaille pour services rendus à l’école : « C’est peut-être lui qui a assassiné Mimi Geignarde. (CS13) » ; le dénouement du livre prouvera à quel point il était proche de la réalité !
La plupart des prédictions vérifiées de Ron se trouvent dans PA.
Cette troisième année d’études à Poudlard leur réserve une nouvelle matière : la Divination.
Bien que pourtant peu appréciées par Harry et Ron – sans parler de Hermione –, ni même révélatrices de leurs aptitudes dans ce domaine, les séances de Divination contiennent beaucoup de tentatives de lever le voile du futur de la part du Professeur Trelawney. De peur de nous attirer les foudres – verbales – de Miss Granger, nous ne nous étendrons pas plus sur le sujet ; qu’il soit seulement noté que les prévisions « non-authentiques » de ce personnage ne sont que des anticipations à court terme (quelques semaines par exemple, cf. la mort du lapin de Lavande Brown prévue dans PA6) et généralement sans réel intérêt, par opposition à celles de Ron qui sont décisives pour l’intrigue générale de Harry Potter. (Soit dit en passant, quel dommage qu’il n’en soit pas conscient… !)
Les prédictions, donc.
Tout d’abord, le « chapeau melon » que croit apercevoir Ron dans les feuilles de thé. Il l’interprète ironiquement comme un signe que Harry travaillerait au Ministère de la Magie (PA6) ; or ce sera réellement la profession de notre sorcier, comme JKR l’a annoncé dans diverses interviews et sur son site :
Outre les trop nombreuses fautes de style de la traduction sommaire mais néanmoins officielle ci-dessus, ce court texte mérite d’être signalé comme révélant le futur ministériel de notre héros, tel que l’avait pronostiqué Ron dans l’extrait sus-cité.
« Une somme d’argent inattendue, de l’or qui arrive de lui-même. »
Voilà ce que prédit Ron à Harry (PA6) en reconnaissant le symbole (un gland) dans l’interprétation des mêmes feuilles de thé de la tasse de celui-ci.
N’est-ce pas ce qui attend effectivement Harry, l’année suivante, comme prix du Tournoi des Trois Sorciers ?
Bien qu’interprété à tort comme un Sinistros par Trelawney et comme un âne par Seamus, les manipulations de Ron ont révélé la forme de Patmol dans les feuilles de thé (PA15).
Ron a l’air d’avoir un don incontestable pour l’art de la lecture dans les feuilles de thé, puisque cette révélation lui aurait permis de « démasquer » Sirius Black, ou tout du moins de fournir un indice sur sa façon de passer inaperçu. Eh oui, « Il arrive que le Troisième Œil soit un fardeau… (Pr. Trelawney, PA15) »
Une référence inconsciente au fait que Sirius Black aurait plus de raisons de tuer Rogue que Harry est aussi faite par ce rouquin aux talents décidément surprenants ; il déclare en effet que Sirius « aurait dû se cacher dans le bureau de Rogue, comme ça on en serait débarrassé ! (PA9) » Bon, je vous l’accorde, ce n’est pas une réelle prédiction, mais cela m’étonnerait que cette phrase ait été écrite au hasard par JKR… pas vraiment son genre.
Dans le 4e tome, même sa propre jalousie sera devinée par Ron ; quelques jours avant que Harry soit une nouvelle fois sous le feu des projecteurs et que son meilleur ami lui tourne le dos, le deuxième propose comme évènement à mettre dans l’horoscope du premier : « Tiens, et si tu étais trahi par quelqu’un que tu considérais comme un ami ? (CF14) » Petite précision tout de même, Trelawney l’avait prédit également – comme quoi tout peut arriver – : « Ce que vous redoutez va se produire, je le crains… Et peut-être plus tôt que vous ne le pensez… (CF13) » Sur le moment Harry pense à la capture de Sirius, mais est très loin de s’imaginer qu’en fait, ce qu’il redoute le plus, c’est de voir son amitié avec celui « auquel il tient le plus au monde » (selon la formule employée par les sirènes) se briser.
Cette prémonition de Ron est à mon goût la plus frappante de toutes.
Le 7e tome nous a réservé une surprise de taille, à savoir – entre autres – la capacité nouvelle qu’ont Voldemort et Rogue à voler, exploit pourtant a priori impossible selon JKR elle-même (QA). Le passage suivant : « Harry vit au loin une forme massive, semblable à une chauve-souris, voler dans l’obscurité en direction du mur d’enceinte (RM30) » comporte une similarité singulière avec celui du 4e livre ; à propos du fait que Rogue n’aurait pas pu aller aussi vite intercepter Harry après avoir attaquer Croupton et Krum « à moins de se transformer en chauve-souris », Ron avoue que « ça ne [l’]étonnerait pas de [Rogue]. (CF39) » Coïncidence, encore et toujours, mais rappelons une nouvelle fois que JKR est bien trop maligne pour que ce soit innocent de sa part…
Dans le tome 5, l’unique (mais non des moindres) phrase troublante à mentionner concernant le « don » de Ron est celle que prononce Madame Pomfresh à l’infirmerie : « Les pensées peuvent laisser des cicatrices plus visibles que n’importe quoi d’autre, ou presque. (OP37) » Il est clair que cet épisode des cerveaux a laissé une marque chez le rouquin, psychologique sinon morale ; le tome 7 montre en fait la fragilité mentale existant chez Ron, avec bien entendu le passage de l’ouverture du médaillon, et ses troubles les plus douloureux mis à jour : « Je ne cherche pas d’excuse à ma conduite, mais il m’affecte beaucoup plus que toi ou Hermione, il me faisait penser à des choses, des choses que, de toute façon, j’avais déjà en tête, sauf qu’il les rendait encore pires. » ; puis : « J’ai vu tes rêves, Ronald Weasley, et j’ai vu tes peurs. Tout ce que tu désires est possible, mais tout ce que tu crains l’est également… (RM19) »
Quant à savoir si ces cerveaux ont bel et bien modifié le talent de Ron pour deviner des choses sans le vouloir, seule une analyse plus poussée le permettrait.
Pas grand-chose non plus dans le 6e, mis à part le fait que Ron devine le premier que Rogue veut essayer de connaître les agissements de Malefoy et non pas de l’aider comme il le prétend : « Peut-être que Rogue n’essayait pas de l’aider mais de savoir ce qu’il préparait. (PSM16) »
Ce tome est aussi l’objet d’un clin d’œil que nous qualifierons de « very private joke », étant donné que seule JKR pouvait le comprendre à la sortie du livre. Ron manifeste le désir de « mettre [son] poing dans la figure de Percy (PSM30) » pendant l’enterrement d’Albus Dumbledore, sans se douter une seconde que le frère du défunt était passé à l’acte avec celui-ci lors de l’enterrement de leur sœur Ariana, très longtemps auparavant : « Enfin, quand même, casser le nez d’Albus pendant l’enterrement, ce n’était pas très convenable. (RM18) » Peut-être qu’Abelforth n’avait personne d’aussi persuasif que Hermione à ses côtés pour le retenir…
En conclusion, nous pouvons affirmer que l’auteur a délibérément donné ce « pouvoir des dieux » qui permet à Ron d’entrevoir le futur par éclairs, mais que personne ne semble s’en apercevoir dans l’histoire. Je ne crois pas à l’enchaînement de coïncidences prôné par certains, en prenant en considération le talent de JKR pour complexifier son intrigue tout en en restant maîtresse d’un bout à l’autre.
Les autres prémonitions
Le rêve de Harry
Je ne vais pas ici détailler tous les rêves « prémonitoires » que Harry fait dans tous les tomes, cela a déjà été merveilleusement réalisé là.
Ce rêve prend place dans le 3e tome, mais ne révèle sa signification que dans le 7e.
Voici sa description : « Il marchait à travers la forêt […] en suivant quelque chose d’un blanc argenté qui se faufilait parmi les arbres. (PA13) » Sont également évoqués des « sabots qui martèlent le sol », ainsi qu’une « clairière ».
L’explication de Steve Vander Ark était à l’époque tout à fait plausible :
Le Patronus qu’il suivait était le sien, prenant la forme d’un cerf, qui était également la forme que prenait l’Animagus de son père. Bien sûr, à ce moment-là, il ne savait rien de tout cela.
Seulement voilà, une fois la lecture de l’ultime volume achevée, une explication beaucoup plus probable surgit : Harry, qui quelques heures plus tôt a effectivement produit son premier Patronus, vient d’avoir une prémonition des plus lucide de la fameuse scène du dernier tome.
La rencontre avec la biche argentée, dans le chapitre éponyme, est décrite de la façon suivante : « Harry observa la créature, émerveillé non pas son étrangeté mais par son inexplicable familiarité. Il avait le sentiment d’avoir attendu sa venue mais de l’avoir oubliée jusqu’à cet instant où ils pouvaient enfin se rencontrer. […] Il savait, il en aurait mis sa tête à couper, qu’elle était venue pour lui, et pour lui seul. (RM19) » Tout comme dans le rêve, la biche « se [faufile] à travers les arbres » ; en revanche le bruit de sabots est présent dans le rêve, contrairement au passage sus-nommé : probablement est-ce plus pour évoquer l’animal que pour le décrire précisément, puisque Harry n’entend ces sabots que quand il essaye de rattraper la biche, et non pas quand il la suit. La clairière du rêve n’est pas non plus clairement nommée, bien qu’une mare comme celle de cet extrait paraisse plus trouver sa place dans un endroit un tant soit peu dégagé parmi les arbres.
L’approche de la mort
Les deux fois où Harry se sait marchant vers un trépas quasi-certain, ses pensées nous révèlent quelque chose d’intéressant.
« Il avait une plus grande conscience de son corps qu’à l’ordinaire : son cœur battait plus vite […] ses doigts étaient parcourus de fourmillements […] il avait en même temps l’impression d’être ailleurs, hors de lui-même […] les réactions de la foule lui paraissaient très lointaines… (CF20) »
« Il sentit son cœur tambouriner furieusement dans sa poitrine. […] Il sentit ses doigts trembler légèrement […] Il se sentit alors plus vivant, plus conscient qu’il ne l’avait jamais été de la vie qui animait son propre corps […] il avait l’impression d’être un fantôme, comme s’il était déjà mort […] Ron et Hermione lui paraissaient distants, dans un pays lointain… (RM34) »
D’aucuns me répondront qu’il s’agit là d’une simple analogie et non d’une prémonition, mais je m’y attarde dans un but précis (c’est-à-dire autre que celui de faire mon malin en vous démontrant par a+b que je connais bien Harry Potter) : cette épreuve du Magyar à Pointes de la Première Tâche n’est qu’un avant-goût de ce qui l’attend à la fin de la Saga. Elle prend place en plein milieu de la série, juste avant la renaissance de Lord Voldemort, … je considère cette attente forcée comme une sorte de « vision » de l’affrontement final contre le Seigneur des Ténèbres. Dans cette répétition, il a le choix entre prendre des risques insensés et perdre la face ; l’ultimatum lancé par Voldemort dans le 7 lui laisse un choix plus cruel encore : perdre la vie en sauvant ses amis, ou se cacher et voir ses amis tomber les uns après les autres inutilement et par sa faute.
Harry a choisi, pour le dragon (enfin, la dragonne), d’ « entrer dans l’arène la tête haute » plutôt que d’y « être traîné pour livrer un combat à mort (PSM23) », ce qui laissait supposer qu’il ferait de même pour Voldemort.
De plus, je ne résiste pas à l’envie de citer Tolkien et notre cher Frodon Sacquet lorsqu’il pénètre dans la Moria : « Ses sens étaient plus aiguisés, et il avait une plus grande conscience des choses invisibles… » Tous les grands auteurs, semble-t-il, écriraient donc l’angoisse de la même façon…
Le don des jumeaux
Fred et George Weasley font beaucoup de remarques purement destinées à faire sourire, tout au long du livre, mais certaines se révèlent exactes malgré tout.
La première et la plus remarquée est celle de George dans le tome 4 :
« Ron, ajouta-t-il, tu commences à parler comme ton frère aîné. Continue comme ça et tu finiras préfet. (CF29) »
Menace qui s’avèrera par la suite, au grand désespoir des deux jumeaux.
La deuxième est sans doute la plus troublante selon moi. Cette phrase paraît innocente au premier abord, mais fait vraiment froid dans le dos quand on connaît le destin de chacun d’eux dans le dernier tome.
Voilà ce que déclarait Fred Weasley dans CF12 : « D’ailleurs, si on veut vraiment s’amuser, il faut bien qu’il y ait un peu de risques. » Sachant les conditions dans lesquelles il mourra le moins de quatre ans plus tard, cette phrase prononcée « d’un air dégagé » est tout sauf coïncidence pour moi ; JKR a en quelque sorte fait prendre conscience aux deux frères que les risques qu’ils prennent en transgressant les règles peuvent avoir des conséquences nettement plus graves en défiant la mort – George perd une oreille, mais continuera à en rire longtemps après, jusqu’à la mort de Fred : « Les yeux de Fred regardaient sans voir, le fantôme de son dernier rire toujours gravé sur son visage. (RM31) »
Les déclarations en miroir
Le chapitre sur les souvenirs de Rogue, dans le dernier tome, comporte un petit clin d’œil, renvoyant au tout début de la série.
Dans le Poudlard Express, James et Sirius défient Rogue pour la première fois. Le père de Harry provoque ainsi celui qui deviendra son ennemi juré : « Qui a envie d’être un Serpentard ? Moi, je crois que je préfèrerais quitter l’école, pas toi ? (RM33) »
Remémorons-nous maintenant la rencontre chez Madame Guipure entre Harry et Drago Malefoy. Une nouvelle fois, le défi est lancé, mais cette fois-ci le discours est exactement à l’opposé du précédent de la part du déjà peu apprécié Malefoy : « Tu t’imagines, se retrouver à Poufsouffle ? Je préférerais m’en aller tout de suite. (ES5) »
Clairement, l’analogie des deux situations est voulue par JKR, justement dans le but d’amuser le lecteur attentif (c’est-à-dire nous) et donner un peu plus de piment aux relectures.
L’on conclura ce que l’on voudra de cette étude. Seulement, je pense pouvoir affirmer qu’un auteur du talent de J.K. Rowling ne peut avoir laisser autant de coïncidences involontairement ; son œuvre, maîtrisée de bout en bout, comporte probablement de nombreux ressorts dont je n’ai fait qu’exposer ici un des affleurements.